
Qualité de l’eau : des expositions sur 20 ans pour 75 000 volontaires
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La base de données Constances comporte dorénavant des teneurs annuelles en nitrates et en 4 sous-produits de désinfection de l’eau sur la période 2000-2020 pour 75 000 volontaires. Cet appariement entre les adresses des volontaires et les réseaux de distribution des eaux repose sur le traitement de 26 millions de données issues de la base nationale SISE-EAUX. Mené par une équipe pluridisciplinaire de statisticiens, épidémiologistes et toxicologues, ce travail minutieux de 2 ans sera publié le 15 octobre 2024 dans la revue Environmental Research.
C’est connu. La survenue de cancers peut résulter d’expositions environnementales sur des périodes bien antérieures à l’apparition de la maladie. Mettre en évidence de tels impacts est un défi pour la recherche épidémiologique, car il faut, entre autres, avoir accès à des données qui parfois n’existent pas, ou qui ont été établies à d’autres fins que la recherche. C’est le cas, par exemple, pour la composition de l’eau que nous buvons ou avec laquelle nous nous lavons.
Adossé à Constances, le projet Cancer-Watch s’est attelé à ce défi en ciblant les nitrates et les 4 sous-produits les plus abondants de la désinfection réalisée dans les stations de production d’eau potable : le chloroforme, le bromodichlorométhane, le chlorodibromométhane et le bromoforme. Ces substances sont suspectées d’être cancérigènes. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe ainsi les nitrates dans la catégorie 2A « probablement cancérogènes chez l’humain », le chloroforme et le bromodichlorométhane dans la catégorie 2B « peut-être cancérogène pour l’humain ».
« Plusieurs hypothèses mécanistiques et des résultats épidémiologiques vont dans ce sens, notamment pour les cancers hormono-dépendants comme le cancer du sein, le cancer de la vessie et colorectoral » souligne Emeline Lequy, épidémiologiste de l’UMS-11 et du CESP qui collabore avec l’équipe du projet Cancer-Watch porté par Cristina Villanueva, chercheuse à l’Institut de la santé de Barcelone.
Un grand ménage de printemps
Pour avoir des informations sur la qualité des eaux, l’équipe s’est tournée vers la base nationale SISE-EAUX mise à disposition par le Ministère de la santé. « SISE-EAUX est une base de données d’une richesse incroyable. L’eau est l’aliment le plus surveillé de France. Mais cette base de données n’a pas été conçue dans un but de recherches épidémiologiques. Son objectif est de rassembler les mesures d’un grand nombre de paramètres à la sortie des stations de traitement de l’eau et dans les réseaux de distribution pour répondre aux exigences règlementaires » indique Emeline Lequy.
Un grand nettoyage et un complément d’information de géolocalisation pour 75 % des données de SISE-EAUX ont ainsi été nécessaires. La base comprend en effet de nombreuses mesures effectuées dans des mairies, des écoles et des maisons de particuliers sans coordonnées géographiques (longitude/latitude) précisées. « Il a été assez facile de géocoder tous les lieux de mesure correctement renseignés. Les principales difficultés ont été d’identifier et corriger les coordonnées aberrantes, souvent liées à l’utilisation d’un mauvais système de projection géographique, et de mettre des coordonnées géographiques précises à des adresses telles que : “chez Mr Durand – 12 rue des Lilas – évier cuisine » ou « en face de la mairie ». Heureusement, les communes étaient correctement renseignées pour les différents prélèvements » explique Antoine Lafontaine, ingénieur d’études à l’IRSET de Rennes.
Grâce à des modélisations sophistiquées et à l’expertise de toxicologues, l’équipe a surmonté deux autres écueils : (1) la présence de mesures de nitrates ou trihalométhanes aberrantes ou manquantes, (2) des fréquences et des protocoles différents de prélèvements selon les régions — chaque Agence régionale de santé (ARS) a en effet ses propres critères de valeur limite de détection dans l’eau. « Malheureusement, aucune prédiction n’a pu être faite pour les aires de surveillance n’ayant aucune mesure de nitrates ou de trihalométhanes » précise l’ingénieur. Cela correspond à tous les points gris sur les cartes ci-dessous.

Raccorder les volontaires à des concentrations annuelles
L’équipe a ensuite associé des concentrations annuelles en nitrate et en produits de désinfection de l’eau à 75 000 volontaires grâce aux adresses qu’ils avaient indiqué dans le questionnaire historique résidentiel proposé entre 2020 et 2022. Grâce à ce travail minutieux de préparation des données et d’appariement, des chercheurs de l’IRSET ont depuis analysé les associations entre les concentrations annuelles en nitrates et sous-produits de la désinfection de l’eau sur la survenue des cancers du sein et colorectal parmi les 75 000 volontaires considérés. Leurs résultats seront prochainement soumis à des revues scientifiques. Les enquêtes scientifiques sur les liens qualité de l’eau et santé dans Constances ne font que commencer ! Nous ne manquerons pas de vous en tenir informer.

« Nous remercions vivement tous les participants. Les informations sur leurs lieux de résidence, précisés depuis leur naissance, nous a permis d’apparier leurs différentes adresses entre 2000 et 2020 à des aires de surveillance de la qualité des eaux, puis à des expositions annuelles. »
Référence bibliographique
Antoine Lafontaine, Sewon Lee, Bénédicte Jacquemin, Philippe Glorennec, Barbara Le Bot, Dominique Verrey, Marcel Goldberg, Marie Zins, Emeline Lequy, Cristina M. Villanueva. Chronic exposure to drinking water nitrate and trihalomethanes in the French CONSTANCES cohort. 3 July 2024 (online). 15 October 2024 (print). Environmental Research. DOI : https://doi.org/10.1016/j.envres.2024.119557.