Paternité : une anxiété transitoire révélée

Une étude inédite menée sur Constances s’est penchée sur les troubles psychiques des hommes avant et après l’arrivée d’un premier enfant dans le foyer. Publiée dans Journal of affective disorders le 1er octobre 2024, elle montre que 5,6 % des nouveaux pères ont un risque transitoirement élevé d’anxiété jusqu’à 2-3 ans après l’arrivée d’un enfant.

Dépression post-partum, baby blues… Ces bouleversements psychiques liés à l’arrivée d’un enfant sont aujourdhui reconnus pour les mères. Quen est-il pour les pères ? 

Depuis quelques années, des études menées dans différents pays montrent que les pères développent aussi de lanxiété (avec des taux variant de 2 à 51 %) ou de la dépression (pour 5 à 10 % des pères). En France, les rares travaux publiés sur le sujet sont limités en termes de nombre de personnes, symptômes ou périodes étudiées. Les données de Constances ont permis de mener une étude longitudinale inédite sur une période couvrant les 4 années avant et les 4 années après l’arrivée dun premier enfant dans le foyer (naissance, adoption…).

Près de 6300 nouveaux pères dans Constances

Une équipe de chercheurs de lInstitut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (IPLESP) et de l’UMS-11 sest penchée sur les données de 6 299 volontaires masculins de Constances ayant indiqué larrivée dun enfant dans leur foyer lors du remplissage d’un questionnaire de suivi annuel envoyé entre 2013 et 2020. Les hommes ayant précisé être père à leur inclusion dans la cohorte nont pas été considérés dans l’étude. 

Les questionnaires de suivi ont également permis dappréhender la santé mentale des participants annuellement afin de savoir s’ils ont souffert durant les 12 derniers mois de troubles anxieux ou dépressifs.

Le graphe ci-dessous présente la prévalence (cest-à-dire le pourcentage dhommes ayant déclaré en souffrir à un moment donné) de ces 2 troubles psychiques. Il montre que lanxiété est le principal trouble touchant les nouveaux pères, avec une augmentation importante de la prévalence l’année de l’arrivée d’un enfant (représentée par le temps « 0 ») : 7,8 % des nouveaux pères ont déclaré des troubles anxieux après l’arrivée de lenfant contre 4,9 % avant. Une augmentation moins marquée est aussi observée pour la dépression : 3,3 % des nouveaux pères ont déclaré une dépression après l’arrivée de lenfant contre 1,9 % avant.

Analyse des trajectoires individuelles

L’équipe a ensuite considéré les trajectoires individuelles des troubles psychiques des nouveaux pères au cours du temps. Elle a révélé 3 groupes distincts : 

  • Un premier groupe caractérisé par un risque constant et faible de troubles psychiques au cours du temps. 90,3 % des nouveaux pères composent ce premier groupe qui n’apparaît donc pas impacté par l’arrivée d’un enfant dans le foyer.
  • Un deuxième groupe avec un risque faible de troubles psychiques, mais transitoirement élevé au cours des 2 à 4 années encadrant l’arrivée d’un enfant. Ce groupe représente 5,6 % des nouveaux pères. Ces pères sont (par ordre décroissant dassociation) plus fréquemment sans emploi, davantage susceptibles d’avoir eu une expérience négative au cours de lenfance, davoir renoncé à des soins de santé pour des raisons financières, et d’être âgés de 35 à 39 ans.
  • Un troisième groupe avec un risque constant et élevé de troubles psychiques au cours du temps. La santé mentale de ce groupe (4,1 % des nouveaux pères) napparaît pas impactée par larrivée dun enfant dans le foyer. Les caractéristiques associées à ce groupe sont (par ordre décroissant d’association) : être âgé de 60 ans ou plus, ne pas avoir demploi, ne pas vivre avec son partenaire.

« Ces facteurs associés à lanxiété ne signifient pas qu’il existe forcément des liens de causalité. Il est important de se rappeler qu’il peut y avoir des effets bidirectionnels » précise Honor Scarlett, jeune chercheuse à lIPLESP qui a réalisé les analyses dans le cadre de son doctorat. 

« L’anxiété transitoire révélée par notre étude peut être liée à plusieurs déterminants clés de la santé mentale, tels que la satisfaction relationnelle, le soutien social, ainsi que la qualité et la durée du sommeil, qui peuvent tous être impactés de manière significative après la naissance dun enfant. Des études qualitatives menées dans d’autres populations que Constances montrent que des pères se posent beaucoup de questions à larrivée dun enfant, notamment sur leur rôle de père, l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale, ainsi que sur leur vie de couple. Les complications pendant la grossesse ou laccouchement ont également été identifiées comme une source majeure danxiété pour les futurs pères, souvent accompagnée de sentiment dimpuissance » souligne Judith van der Waerden, épidémiologiste à lIPLESP qui a coordonné l’étude. 

Face à ces résultats et au constat d’un manque de services de soutien spécifiquement dédiés aux pères en difficulté psychique en France, les chercheuses vont lancer en 2025 un projet pilote afin de tester un programme australien appelé Sms4dads. Soutenu dans le cadre d’un appel à projet de l’Institut pour la recherche en santé publique (IRESP), ce dispositif basé sur l’envoi de messages téléphoniques a comme objectif d’inclure au moins 50 pères (non volontaires de la cohorte, le projet se déroulant hors cadre de Constances).

Preuve que mieux connaître le risque en population générale aide à impulser et définir des approches préventives ciblées.

Référence bibliographique 

Honor Scarlett, Emmanuel Wiernik, Judith van der Waerden. Longitudinal trajectories and associated risk factors of paternal mental illness in the nine years surrounding the transition to fatherhood. J Affect Disord. 1 Oct 2024 (print). 8 July 2024  (online). DOI: 10.1016/j.jad.2024.07.008.